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Note de lecture de Irène Duboeuf sur le site Terre à ciel

 

Arnaud Forgeron – Apprendre à aimer chaque pas 
Editions Encres vives 2018 – Collection Encres Blanches, 16 pages, 6,10€

Avec ce recueil parcouru d’eau et de vent, éclaboussé d’embruns, traversé de formes translucides, de silence, de nostalgie, où la vie s’écoule « délicieusement grise » entre berges et rivages, Arnaud Forgeron surfe sur sa ligne de vie entre obscurité et pleine lumière et poursuit ses questionnements sur l’être et le non être, la fuite du temps et la finitude dans une inlassable quête de l’inconnu, « Le balancier du jour, de la nuit, de nos nuits, mettant plus ou moins de lumière à nos yeux de fortune, d’infortune, c’est selon, selon le moment, selon l’humeur de nos chairs, la couleur empourprée de notre sang, les tresses nocturnes de nos rêves. »
Deux parties composent Apprendre à aimer chaque pas : la première, intitulée Tissée l’instable, nous livre les fragments d’une vie et des êtres qui la peuplent et nous invite à « redéfinir l’avancée de nos jours/ sans déran
ger la mort. » Ne pas avoir peur de l’abîme, l’apprivoiser. 
« Alors nous construisons des ailes à nos pensées pour prendre les devants, anticiper l’inéluctable, par les courants d’imaginaire et d’inconnu nous nous envolons vers l’à-côté des choses. »

Poser un regard décalé est en soi un acte poétique. Le poème affleure dans toute chose, le poète, lui, effleure, suggère par des images où il juxtapose les contrastes comme pour souligner la dualité du monde :
« Nous nous élançons dans l’or et le charbon… »
« Il y a des traces assourdissantes »
« La lune se pare de ses plus belles plumes blanches et ses gouffres sont les grands yeux noirs que nos rêves regardent fixant le vertige délicat où nos chairs s’abîment. »
 
L’auteur va trouver une certaine quiétude dans un lieu qui lui est cher, celui où il vit, non loin de celui de son enfance. Ainsi est introduite la seconde partie, La belle maison (du nom du lieu d’habitation de l’auteur) qui s’ouvre sur un paysage tout d’abord gris et noir empli de mélancolie où l’auteur apprend à se contenter de peu, où les jours se ressemblent mais peuvent être grands dans leur insignifiance, il suffit d’apprendre à aimer chaque pas.
« Aujourd’hui est un grand jour
comme les autres. » 

« Pour mieux sourire mieux vaut savoir se frotter à la cendre »

En parfaite symbiose avec la nature, Arnaud Forgeron, poète discret, nous offre des textes qui chuchotent de leurs lèvres d’encre pour ne pas déranger l’ordre des choses. 
Entre exploration et introspection, il nous amène peu à peu vers une forme d’apaisement, où « tout est limpide, parfaitement à sa place ». 
Le recueil se termine dans la lumière : la fuite du temps, à défaut d’être maîtrisée, peut du moins être acceptée. L’auteur parvient à prendre possession de l’instant, cette fine brèche entre un passé irrémédiablement perdu et un horizon où tout peut advenir, où l’être humain, dégagé de tout simulacre, apparaît à la fois dans sa fragilité (il se sait mortel) et sa puissance (il est capable de contempler la vie et de sourire de son destin), car il est en mesure de prendre le temps de mourir.

Irène Duboeuf 03/01/2019 

Claire Légat, 492ème Encres Vives.

Août 2019.

Note de lecture.

 

 

Encres Vives, revue dirigée par Michel Cosem depuis les années 1960, consacre à Claire Légat son numéro 492. Ce numéro nous ouvre l'espace du poète avec des extraits de, nous nous sommes trompés de monde (poèmes édités en 1966 chez l'auteur, Pâturages. Poésie des limites et limites de la poésie), et, d'outre toi-même (recueil en cours d'écriture) avec murmuration du vide (inédit).

 

Claire Légat est née à Pâturages, le 20 mai 1938, Michel Cosem écrit :

 

« En 1965, un événement important allait donner à la revue une assise plus large et surtout un dynamisme accru. Il y eut à Bruxelles, organisé par Claire Légat, un congrès de la jeune poésie. Il y avait là d'autres directeurs de petites revues venant de France et de Belgique. Nous avons ensemble participé activement aux débats, mais aussi un nouveau comité de rédaction se constitua avec la fusion de plusieurs revues installées à Reims, Toulon, Nancy, Liège, Bretagne etc...avec Encres Vives. »

 

*

 

Comme l'on se coince les doigts dans une porte, à la lecture de nombreux poètes j'ai souvent la sensation que l'oeil (le regard) reste coincé dans l'entrebâillement de leurs fenêtres, ou pire, s'y cogne avec les mots. À la lecture de Claire Légat, la sensation est que son regard et ses mots ont pris le large, les devants, et amènent les nôtres, les à venir. Comme une fuite en avant désormais maîtrisée, devenue escapade, pour en ramener une mémoire. En ouverture de la plaquette, une écriture blanche sur fond noir :

 

« on les trouve

au pied des statues lucides

la chair ouverte

sur d'étranges zones

 

on ne sait toujours pas

s'ils inverseront l'avenir

avec leurs paroles

en mal de vertige

ou

s'ils deviendront

paysage

blessure totale

d'ici »

 

 

 

Le moins que l'on puisse dire est que ce poème nous pose d'emblée l'étendue de la carte et du territoire. Pour amateurs d'horizons. Pour allumeurs et coureurs d'horizons. En poésie comme en escalade, il y a ceux qui montent en tête, qui défrichent la piste, et ceux qui suivent, assurés par un autre.

Il semble que Claire Légat à l'instar de Zarathoustra découvre des sommets, d'un coup, par le haut, pendant que la majorité y accède en alpiniste avec les dictionnaires et les bagages des gens de lettres.

À y regarder de plus près, ne sommes-nous pas portés par les eaux de ce que l'on soulève ? Ici la poésie de Claire Légat est une grande marée de vives eaux, par l'alignement de son être là avec ses ailleurs. Le dasein n'est-il pas une oscillation, comme corde quantique ? La poésie n'est-ce pas aussi, comme chez Claire Légat, ouvrir le monde pour un nouveau hasard ?

 

« nous nous sommes trompés de monde »

 

Quelques ricochets pour quelques brisures...de symétrie. À ces altitudes l'air et les mots se font rares, les vertiges envahissent l'équilibre des corps, les acquis deviennent des vestiges.

 

Suivons un autre voyageur, Nicolas Bouvier dans, L'usage du monde :

 

« Pourquoi ajouter des mots qui ont traîné partout à ces choses fraîches qui s'en passaient si bien ? »

 

Continuons avec André Suarès :

 

« Le grand poète, qu'il s'en doute ou non, est l'oracle d'une religion

ou d'une métaphysique. Il pense au-delà. »

(Carnets 175, p.10)

 

« Et qu'est-ce donc, l'intelligence, au prix de la vision sur l'invisible ? »

(Correspondance,377. A.S. A J.P., Rougerie Editeur)

 

Il y a ceux pour qui, l'attente s'agrandit auprès du miroir, et ceux pour qui la poésie, l'existence, sont de l'ordre des correspondances. Pour d'autres, peut-être, seul l'os splendide et cru d'une réalité. À chacun d'avancer, de se construire, de trouver sa place, de solitude en sociétal, de silence en parution.

 

Au sanctuaire de Delphes, à l'entrée du temple d'Apollon fut gravé selon le Charmide de Platon, Gnothi seauton, Connais toi toi-même, tandis que de l'autre côté fut gravé, Rien de trop.

N'est-ce pas là l'une des voies de l'Art, en l'occurrence de la Poésie ? Celle de Claire Légat nous fait rouler le corps comme roulent les écumes en gerbes blanches. Sans crainte, toujours une plage, une crique, une baie, une laisse de mer, toujours le monde pour nous (re)accueillir. Quelques désillusions aussi.

 

 

« Nous n'avons partagé que l'instant

- le sang à pleines mains

et les chaînes sont revenues. »

 

 

Ces chaînes qui nous font renoncer à l'utopie, qui nous font prendre position, ces chaînes limées au travers des âges par les esprits les plus courageux qui font les Grands Hommes, ces chaînes à la réalité, Claire Légat a la volonté de les rompre, libérant ses mots pour nous peindre ses ailleurs en un retour perpétuel :

 

« tu me recom-

mences à cha-

que révolution

 

de notre temps

d'étoile »

 

Ici le temps est cyclique, ferme sa boucle, et recommence, à l'oriental.

Après les chaînes rompues, il y a les masques, les faux-semblants du statut social, les miroitements du soi-même et le rocher des jours-nuits, rocher de Sisyphe :

 

« QUE TOUS LES MASQUES TOMBENT JUSQU'A CE QUE VIE S'ENSUIVE »

« Sais-tu les mots

les formules qui contredisent ces voûtes limpides

 

Tu te nommes dépaysement

hasard de chair

monnaie de songe

 

(…)

 

Ailleurs

tu te retrouves sans comprendre au milieu d'une vitre

 

Incassable la vitre »

 

 

Ouvrir sa voix, ouvrir des voies est puissance de volonté, en escalade comme en poésie, n'en reste pas moins qu'il faut un jour ou l'autre en revenir à la vie quotidienne, journalière, au chemin familier, seuls de rares maudits ne revinrent jamais et moururent dans leurs ailleurs. D'ailleurs le plus incompris chez Arthur Rimbaud, ne vient-il pas de là ? La nuit les hyènes du Harar descendent des montagnes. À sa suite, Claire Légat chemine :

 

« TENUE CORRECTE EXIGEE

 

j'ai réintégré ma peau

ramassé mon cœur cédé en gage

mes yeux multipliés dans la flaque de sang »

 

 

À noter selon une note de lecture de 2019 de Laurence Amaury sur Murmuration du vide.

 

«Après des décennies de retrait et de silence, Claire Légat nous revient avec un long poème...»

 

Cela a son importance, surtout dans l'engorgement du trafic qui semble sévir en poésie et dans nos sociétés de l'immédiateté.

 

Une voix, celle de Claire Légat, la voie travaillée par le silence.

 

 

 

 

Arnaud Forgeron

Note de lecture de Philippe Tancelin sur Néandertal à Gibraltar.

En résonance avec une belle citation de Rosa Luxembourg, l'auteur évoque une confrontation

allégorique de notre présente humanité avec "l'homo néanderthalensis". La dimension poétique n'échappe pas à ce vis-à-vis, en ce qu'il est hanté par l'ombre de lui-même sur le devenir humain. Il demeure dans cet échange une tendresse de la langue pour son lecteur, telle cette attention des mots à ce qu'ils ne sauraient signifier. Loin de l'indicible qui envahirait le territoire de l'expression, c'est l'indit qui page à page sillone le propos avec discrétion et humilité.

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